C’est une nuit bleutée pour les papillons du ventre. L’heure sombre déroulée comme un tapis   établissait le saule chasseur ; autrement dit, moi.  L’eau fondait à la noirceur et masquait ses souterrains glorieux, et moi je masquais mes feuillages malheureux.  Je me regarde à son miroir, puis je me garde de revoir. Pourquoi m’acharner à saisir mon regard que je ne vois pas depuis des années ? Pourquoi rêver de mon image alors qu’elle n’est emportée que par le vent ?

Vais-je rester linceul pour le reste de ma vie ? Dans la grande caresse des sons carillons, suis-je une princesse en attente ? Je suis un saule chasseur, pas pleureur. Je préfère laisser noyer ces questions au bord de l’eau.

Je contourne rapidement mes lignages des profondeurs étendus sur l’eau, jusqu’à ce que je vois. Un scintillement niché au coin de mon ombre reflet.  Je scrute le point lumineux qui s’était incrusté en cette voleuse nuit. Que se passe-t-il ? Ce bout de reflet est-il vraiment à moi ? Soudain, d’autres pixels d’eau se mirent à briller, tous en chœur. La lumière vivait, la lumière était moi. Mes feuilles, mon tronc, mon âme. J’étais là, créature flottante sur les eaux glorieuses.

J’ai compris. La lune s’était présentée pour me représenter. La noire nuit foulait ma vie donc je l’avais toujours évitée. Mais la lune ne m’avait jamais oublié. Depuis combien de temps faisait-elle ce manège ? Combien de temps s’acharnait-elle à me ressaisir, me réveiller de mes égards mortels ?

Reflets. Je ne serai pas oublié, et je n’oublierai plus. À l’aube de moi-même, le ventre en papillon, le bleu pastel en forme de nuit, je sais.